Au printemps 2019, nous avons effectué une première expérience muséographique sur l'île de Bo Cho, au cœur du monde moken. Nous voulions présenter aux Moken une première version de CartES, qui constituera l’un des éléments centraux du Moken Alive Museum. Cette exposition expérimentale nous montre la voie à suivre pour le développement du musée.
Exposition « CartES » présentée du 28 avril au 31 mai au Centre des visiteurs de Makyone Galet sur Bo Cho Island dans le Parc national marin de Lampi (Myanmar)
Un accord de coopération a été signé en 2018 entre le MNHN et l’ONG Oikos, partenaire financier de cette exposition. L’ONG Oikos travaille à la conservation de la biodiversité du parc national marin de Lampi au Myanmar, depuis février 2010 et a élaboré le plan de gestion du parc et de développement éco-touristique de la région Thaninthayi. en collaboration avec le Département des forêts du Ministère des ressources naturelles et de la protection de l'environnement du Myanmar.
Oikos a sollicité Jacques Ivanoff et Maxime Boutry pour mieux comprendre la communauté Moken qui vit dans l’archipel depuis plusieurs siècles sans pour autant avoir mis en péril les ressources naturelles. Pour l’équipe du MAM, ce projet de recherche s’accompagne de la volonté de faire reconnaître les Moken comme une communauté précieuse et unique. Outre le projet de recherche, l’équipe du MAM s’est attelé à la conception d’un dispositif muséal nouveau, voulu par et avec la communauté. Pour réussir la mise en place de ce projet qui doit associer les Moken au décisions, choix et parti-pris, il est indispensable de réaliser des "évaluations en action". Cette approche expérimentale vise à répondre à un certain nombre de questions muséologiques théoriques et pratiques.
Description de l’exposition
1) Différents types de panneaux composites :
- A l’entrée, un panneau-titre de l’expo (CartES) et au dos un texte sdestiné aux autorités et expliquant les grands principes du travail de l’équipe,
- de part et d’autre de l’entrée, trois panneaux « photo + texte » expliquant en anglais et en birman la démarche de l’équipe auprès des Moken,
- en périphérie sur les murs de la salle, des panneaux « légendes » fixés aux murs, expliquent les légendes de la carte. L’idée de chaque type de légende est symbolisée par un pictogramme, traduite en anglais, en birman, et illustrés par de photos : une grande et une série de petites. Au total 14 panneaux pour : Village, Bateaux/maisons, Aire de collecte, Espace sacré, Lieux de cérémonie/fresque, Cimetière, Montagne/ancêtre fondateur, Tortue, Miel, Cochon sauvage, Calmar, Holothurie, Coquillage, Étain.
2) Au centre de la salle, une carte de l’archipel de très grande taille sur fond de vue satellite, et sur laquelle ont été positionnés les pictogrammes, les noms moken des iles et les zones de répartition des sous groupes, Il est possible de marcher sur la carte.
3) Le son : diffusion dans la salle d’exposition de chants enregistrés et choisis par Jacques Ivanoff.
4) La vidéo/ animation : présentation d’une unité vidéo sur deux thématiques. D’une part le légendage de la grande carte au sol. Du fait de l’absence d’écriture chez les Moken, il s’agissait d’une animation reprenant les pictogrammes figurant sur la carte et les panneaux critèresles traduisant graphiquement et oralement en Moken (dit par JI) * Pour évoquer la mobilité des groupes : la répartition actuelle des Moken est aussi le résultat de la mobilité des sous groupes au sein de l’archipel. Cette animation avait pour but de montrer cette mobilité observée par Jacques Ivanoff et Maxime Boutry.
5) Interrelation entre les panneaux et carte : les pictogrammes génèrent un premier lien entre la carte et les panneaux légendes. Ensuite, nous avons mis physiquement en interrelation les panneaux avec la carte, pour réaliser une sorte de toile recouvrant la carte, qui montre du premier coup d’oeil la complexité de l’espace social Moken.
6) Un bloc de cartes vierges de l’archipel sur laquelle il était proposé de dessiner, écrire, … avec des feutres à proximité
7) Une petite bibliothèque : sous l’écran vidéo à proximité de l’entrée/sortie avec des ouvrages à consulter pour adultes et enfants.
8) Un petit dépliant à emporter : représentant la carte et tous les panneaux. Placés dans la petite bibliothèque au dessus des livres proposés à la consultation
9) Un livre d’or à la sortie de la salle
La Réception de l’exposition
- Avant l’exposition. Pendant le montage le taukay KohTwe nous rend visite. Beaucoup d’émotion à la vue de la carte qui lui est présentée, et même quelques larmes de bonheur.
- La présentation aux Moken, le 27 avril 2019. La première étape est de faire venir les Moken pour leur montrer l’exposition installée dans le territoire des rangers, donc une version de l’autorité. L’ONG OIKOS a préparé une inauguration officielle mais pour l’équipe du MAM, il faut avant tout permettre aux Moken de s’approprier le dispositif et montrer l’exposition en l’absence de toute forme d’autorité. Ce dispositif est avant tout le leur. Pour l’équipe du MAM il est clair que la présence d’autorités influera sur la réception de l’expo par les Moken. Les Moken ne rentrent pas immédiatement dans le visitor center, ils restent en contrebas et attendent. Pour les inviter à y pénétrer Maxime Boutry leur explique l’exposition. Ensuite, les Moken entrent. Les enfants accompagnent leurs mères, les adolescents font souvent l’intermédiaire entre le dispositif et les plus agés ou les femmes. Globalement les femmes suivent de façon méthodique le parcours le long des murs et regardent attentivement les panneaux photos. Elles ne s’approchent pas vraiment de la carte, qui par contre attire les hommes. Globalement les panneaux sont appréciés, beaucoup de discussions entre Moken. Les images grandes et petites fonctionnent bien ensemble sans l’aide de texte. Les femmes principalement et aussi les hommes s’y arrêtent longuement. Échanges et selfies autour de ces panneaux. En ce qui concerne, l’audio, grande réussite auprès des femmes qui finiront par s‘éloigner de la salle avec le petit magnétophone pour mieux entendre les chants enregistrés par Jacques Ivanoff. Beaucoup d’échanges entre elles à cette occasion. La carte au sol est un élément déclencheur de discussions dans l’exposition. Les débats se prolongent en dehors de l’exposition et bien après. Cela confirme l’importance de sa représentation. mais elle questionne surtout dans un premier temps la localisation des ressources, les limites des territoires.
- L’inauguration, le 28 avril 2019. Le jour de l’inauguration, les VIP arrivent en premier. Amenés par Oikos en vedette rapide, ils attendront longtemps que les Moken se décident à revenir. Les Moken sont nettement moins nombreux que la veille et les femmes sont peu représentées. On note que le rapport à l’exposition n’est plus le même : les VIP occupent le terrain, les Moken sont en retrait. La cartES fait parler bien plus que les photos en périphérie. Les autorités semblent vraiment très intéressées. Oikos a préparé un repas dans le village. Les officiels ont droit au restaurant et les autres sont attablés dans la rue principale du village, c’est plus joyeux.
- Les jours suivants. Peu de visiteurs dans les jours suivants. Parmi eux, les jeunes Moken et Birmans ou métis, y feront nombre de selfies, liront avec intérêt certains des panneaux, regarderont les photos et la carte en détail. Dans cette dernière phase d’observation, les comportement des jeunes Moken en particulier semblent très familiers et bien loin d’un désintérêt pour la question de leur territoire et des « pratiques traditionnelles».
conclusion
Cette préfiguration a permis de mieux comprendre les réactions des Moken face à des dispositifs muséographiques, et face à leur propre culture. Par ailleurs, cela nous montre la voie à suivre pour communiquer en direction d’un peuple de culture orale, refusant l’écrit. Cependant, les dispositifs du futur musée devront également intéresser les touristes venus du monde entier. Dans ce sens, nous devrons donc trouver un point d’équilibre pour que ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas puissent tous accéder aux informations, à travers un dispositif unique.
Ce travail nous a également permis de mesurer les possibilités et les ressources locales pouvant être exploitées pour la conception du futur musée et de mesurer certaines des difficultés : approvisionnement en bois, construction mobilier, impressions, électricité, supports logistiques, L’archipel est encore très isolé : pas d’internet stable, pas d’électricité régulière, pas de réseaux d’eau, d’assainissement, forte chaleur et humidité,