Introduction

Deux mille nomades marins Moken naviguent encore dans l’archipel Mergui, huit cents îles birmanes protégées du monde dans leur discrétion et leur mystère. Les Moken, derniers hommes libres, riches de la vision d’un possible futur basé sur les mythes, trouvent encore les moyens sociaux, économiques et culturels de vivre leur différence dans un cadre grandiose fait de récifs coralliens, de mangroves, de forêts primaires, d’animaux réels ou fictifs. La vie et la mort se côtoient, l’histoire et le présent vivent en bonne intelligence. L’ouverture imminente de l’archipel Mergui au tourisme augure de profonds changements dans le quotidien du peuple Moken. Pour l’industrie touristique encore balbutiante, le patrimoine naturel et la force d’attraction exotique des Moken sont des atouts remarquables. Actuellement, rien n’est proposé aux 100 000 touristes prévus annuellement. L'identité principalement orale de ce peuple nomade, et par essence évolutive, repose aujourd’hui sur les interactions qu'ils ont développées avec les pêcheurs Birmans du Tenasserim. Ces derniers, ayant bénéficié du savoir des nomades, veulent à leur tour que l’on reconnaisse cette société avec laquelle ils ont développé des interactions très fortes : mariages et enfants reconnus. Dans cette dynamique est né le projet d’un musée spécifique œuvrant sur l'ensemble de l'archipel à faire connaître et reconnaître, sans le pétrifier, le peuple Moken, ainsi que la conservation et la transmission de leurs savoirs, de leurs valeurs. La connaissance des Moken, c’est également l’histoire de la famille Ivanoff. Pierre et son fils Jacques, qui depuis les années 1950, ont collecté les objets et les mythes, filmé et enregistré. Leur relève est assurée par les recherches de Maxime Boutry sur les interactions entre nomades et Birmans, et par la formation de chercheurs locaux. Les connaissances acquises par les chercheurs, le désir des Moken la volonté tant locale qu’internationale sont actuellement réunis pour édifier un musée original autour d'un d'une communauté exemplaire et d'un patrimoine unique et riche d'enseignement pour les autres sociétés humaines.

« Il n’existe aucun objet Moken ou presque dans les musées
du monde. Seules
les collections du futur musée représentent
cette société au savoir multiséculaire. »

« Aucun Moken n’a été tué lors du tsunami de 2004.
Leur connaissance fine du milieu leur a permis de prévoir
la catastrophe et d’alerter les personnes présentes sur l’archipel
au moment du drame. »

« Les Mokens vivent dans un milieu naturel exceptionnel.
Leurs connaissances leur permettent de
restaurer
cet écosystème dégradé
par l’extraction de l’étain ou
la pêche illégale. Avec eux, le musée contribuera à préserver
cet environnement remarquable.. »

« La culture Moken, mémoire d’une région, est unique.
Ses mythes façonnent l’esprit de l’archipel. Créer ce Musée,
c’est
préserver la diversité culturelle et permettre à ce peuple
à nul autre semblable, de continuer à vivre. »

« Les Mokens sont un peuple moderne, dépositaire
d’un savoir-faire et de valeurs universelles :
solidarité,
non-violence, partage, mobilité
. Il faut un musée pour exposer
ces valeurs pratiques aujourd’hui. »

Les Moken, nomades marins de l'archipel Mergui, sont le groupe le plus septentrional de la migration austronésienne qui commence probablement de Taiwan vers 5000 av. J.-C. Le départ des Moken de l'archipel Riau-Lingga (Indonésie), remonte au XVIe siècle environ. À partir de là, ils se sont développés en se séparant du groupe dominant « malais » pour devenir des « proto-malais », membres d'une communauté plus large qui comprend tous les nomades de l'archipel insulindien, notamment les Moklen et les Urak Lawoi sur la côte sud-ouest de la Thaïlande. Des siècles d’interaction avec d’autres populations ont fourni aux Moken une source de connaissances culturelles et techniques qu'ils purent exprimer en adaptation avec leur environnement.

L’environnement de l'archipel offrait une vraie tranquillité vis à vis des civilisations continentales. La culture Moken s'est épanouie avec son objet phare, le kabang, bateau représentant le microcosme d'une société. Cela a également permis l'expression de leur idéologie: la chasse en mer, la chasse sur terre, la non-accumulation, la non-violence, l'égalitarisme, le refus d'apprendre et donc d'aller à l'école. Cet Eldorado archipelagique a permis la répartition de zones de rassemblement entre cinq îles principales, chacune habitée par une flottille, correspondant à une famille élargie.

Les Moken maintiennent un équilibre démographique (ils n’ont jamais dépassé 5 000 personnes) et une relative tranquillité. En effet, l'archipel de Mergui était loin de l'emprise des civilisations environnantes jusqu'à l'annexion de la région du Tenasserim par les Britanniques en 1826. Même à ce moment-là, les îles de l'archipel Mergui restaient un lieu isolé, et les Britanniques ne pouvaient imposer des taxes sur les produits Moken que par l’intermédiaire de leurs tokè. Ce terme d’origine chinoise (Hokkien), désigne l’intermédiaire qui permet aux Moken d’échanger les produits de leur collecte contre le riz et d’autres biens de consommation. Des changements rapides ont commencé dans les années 1980, lorsque des milliers de Birmans ont émigré de la Basse-Birmanie vers l'archipel, fuyant les troubles politiques et la détresse économique, entraînant notamment des intermariages systématiques entre homme birmans et femmes moken.

Pendant longtemps, on pensait que l'origine du nom Moken provenait de la partie du bateau qui maintient le bordé, appelé mo, et okèn qui signifie "eau salée". En réalité, l'origine du nom est révélée par le poème épique de Gaman qui a offert à la société Moken son identité. Gaman est un héros civilisateur malais, qui entraîne pour les Moken la transition des ignames (symbolisés par leur reine Sibian), au riz comme base de leur diète. Gaman, marié à Sibian, commet l’adultère avec la sœur cadette de la reine (nommée Kèn). Sibian le condamne alors à être immergé (lemo), avec le groupe mené par Kèn, donnant ainsi l’origine du nom, lemo-ken, devenu Moken.